Née en 1929 à Sfax, en Tunisie, Henriette Walter est professeur émérite de linguistique à l'université de Haute-Bretagne à Rennes, directrice du laboratoire de phonologie à l'École pratique des Hautes études à la Sorbonne et bien d’autres choses encore. Auteur de nombreux ouvrages, elle est une passionnée des bons mots, de la langue française et des rapports du français avec les autres langues. Une conversation avec elle, c’est un voyage dans l’espace et dans le temps, avec des rencontres inattendues.
- Comment retrace-t-on l’aventure des mots ?
Henriette Walter. "C’est tout une histoire ! Parfois pour une étymologie, on est obligé de remonter très, très loin et à un certain moment, on s’arrête.
La recherche, c’est essayer de voir quels sont les divers mots pour dire la même chose. Ou bien l’inverse, quelquefois on a plusieurs objets qui ont le même mot pour les désigner. Personnellement, j’ai recours à des dictionnaires et à des enquêtes régionales. J’ai dirigé une enquête dans l’ensemble de la France et des pays où l’on parle le français (…) Par exemple, c’est intéressant de voir que nous avons deux mots pour désigner le même poisson, par exemple le bar et le loup. Le bar est au nord et le loup dans le midi, mais c’est le même poisson. Comme le colin et le merlu (…)"
- A Téciverdi, vous allez nous parler de ces mots français venus d’ailleurs. Vous avez publié un ouvrage sur ce thème : L’aventure des mots français venus d’ailleurs.
Henriette Walter."Ces mots venus d’ailleurs, on en a des milliers et quelquefois on ne s’en doute pas. On ne se doute pas, par exemple, que la plupart des noms de couleurs sont venus du germanique. C’est-à-dire de la langue des Francs, qui sont arrivés en Gaule. Ces Francs sont venus avec leur langue, le francique. Par exemple le blanc, le bleu, le gris ou le brun sont des noms d’origine germanique (…) Mais pourquoi dit-on blanc en français, alors qu’en allemand on dit weiss ? Et qu’en anglais, qui est aussi une langue germanique, on dit white ? C’est que blank et white, ce n’est pas exactement la même chose. Le mot existe en anglais et en allemand, mais signifie simplement « vide ». Comme quand on dit « un chèque en blanc » c’est-à-dire que c’est neutre.
L’arabe nous a donné beaucoup. Parfois on sait tout de suite que c’est de l’arabe. Par exemple maboul, le tagine, chouïa. Mais qui se souvient que truchement, qui a l’air tellement français, est un mot qui vient de l’arabe, qui signifie l’interprète ? Et alcôve, avec cet accent circonflexe si joli, est un mot qui vient de l’arabe qui veut dire la petite chambre (…) Et il y a des mots qui viennent de l’arabe mais qui eux-mêmes viennent du persan. Par exemple : jasmin, lilas, azur, nénuphar, épinard (…)"
- Vous parlerez aussi des apports des autres langues…
Henriette Walter."J’ai insisté sur le germanique et l’arabe, mais plus tard, nous avons été de grands amoureux de l’italien et beaucoup de vocabulaire nous est arrivé aux XVIe et au XVIIIe siècles, avec tous ces noms sur les partitions de musique : piano, andante… Et l’anglais alors ? L’anglais est venu très tard.
C’est nous qui avons donné à l’anglais, mais l’anglais n’a commencé à nous intéresser, du point de vue des emprunts, qu’à partir de la fin du XVIIe, le XVIIIe (…) On prend des mots lorsque c’est nécessaire. Ça se renouvelle constamment. Quelquefois une notion ou une machine arrive avec son mot étranger. Quelquefois, ce mot étranger on n’en veut pas, on le transforme."
- Mais alors, quand on parle de la pureté de la langue ?
Henriette Walter. "La pureté, ça n’existe dans aucune langue. Dès qu’il y a contact avec une autre langue et une autre population, ça change ; ça ne veut pas dire que ça s’abime. Non ça se modifie et moi je dis : ça s’enrichit."
Quelques ouvrages à (re)lire d’Henriette Walter
- L’aventure des mots français venus d’ailleurs, publié chez Robert-Laffont en 1998, et réédité en 2014 dans une nouvelle collection du même éditeur : Documento.
- En collaboration avec Bassam Baraké, Arabesques – L'Aventure de la langue arabe en Occident, éd. Robert Laffont/ Éditions du temps, 2006
- La fabuleuse histoire du nom des poissons, du petit poisson clown au très grand requin blanc (Laffont 2011) avec Pierre Avenas