Après avoir régné sans partage sur le Vendée Globe et la Route du Rhum dans la catégorie Imoca*, François Gabart tourne la page du monocoque et se lance, avec la Macif, dans un ambitieux programme autour d’un trimaran géant. Entretien.
- Vous vous lancez dans l’aventure du multicoque, est-ce à dire que vous tournez définitivement la page de la catégorie Imoca ?
François Gabart : "Je tourne la page Imoca, pour quelques années sans aucun doute, sans aucun regret et avec beaucoup de plaisir, pour en ouvrir une autre en multicoque. Je suis ravi de ce choix. Après, il ne faut jamais dire jamais. Pourquoi ne pas revenir un jour sur le Vendée Globe ? Mais ce qui est sûr, c’est que ce ne sera pas dans les cinq prochaines années."
- Avez-vous le sentiment d’avoir fait le tour de la question Imoca ?
F. G.: "Celui qui prétendrait avoir fait le tour de la question Imoca se tromperait. C’est un monde sans fin. Dans la course en solitaire, j’ai beaucoup appris et beaucoup progressé ces dernières années, mais j’ai encore plein de chose à explorer. Il est vrai que ma courbe de progression a été très rapide au début. C’était très intéressant, très excitant et j’aime bien cette dynamique de découvrir, de faire les courses pour la première fois. Je suppose que je vais vivre la même chose en multicoque."
- Votre projet multicoque est-il un souhait personnel ou celui de la Macif de vous voir dans cette classe ?
F. G.: "C’est un projet partagé. Ça part d’un rêve personnel, de la même façon que le Vendée Globe était un rêve depuis que je suis tout petit. C’est partagé, réfléchi, enrichi avec la Macif. On s’est rendu compte que les opportunités de communication et de développement qu’offre ce type de projet correspondent aux besoins de sponsoring de la Macif pour les années à venir."
- Pouvez-vous nous en dire un peu plus ce projet ?
F. G. : "On construit un trimaran de 100 pieds (30 mètres), conçu pour la navigation en solitaire. L’objectif est de refaire un tour du monde à l’hiver 2017-2018 et de nous attaquer au record. Autour viendront des tentatives de records comme La Route de la découverte (Cadix-San Salvador), l’Atlantique Nord (New-York-Cap Lizard), la Méditerranée (Marseille-Carthage), ainsi que des courses et des opérations de relations publiques."
- Pourquoi un trimaran plutôt qu’un catamaran ?
F. G.: "Le trimaran correspond mieux à un programme en solitaire parce qu’il a une meilleure stabilité et est plus tolérant. Et il n’est pas forcément moins rapide que le catamaran. Regardez, le record du monde, même en équipage, est détenu par le trimaran Banque Populaire. Son prédécesseur, Groupama, était lui aussi un tri."
- Vous avez fait une entrée fracassante dans le palmarès des grandes courses au large. Y a-t-il eu crime de lèse-majesté vis-à-vis des anciens de la spécialité ?
F. G.: "Je ne pense pas et pour plusieurs raisons. D’abord parce que mon sponsor, la Macif, était déjà très engagée dans la voile avec sa filière de détection, son programme Macif Course au large. Ils n’ont jamais eu de stratégie d’opportunisme et tout est construit dans la durée. J’étais jeune quand j’ai commencé avec eux, mais j’ai fait mes preuves par ailleurs, en dériveur, où j’ai démontré que j’étais capable de me débrouiller. La course au large est un sport dans lequel on peut être performant longtemps, où les p’tits jeunes ne chassent pas les anciens aussi vite que dans d’autres sports. On le voit bien avec Loïc Peyron, élu marin de l’année, qui vient de gagner la Route du Rhum à 55 ans."
- Qu’est-ce qui vous attire tant dans la course en solitaire ?
F. G. : "Je ne suis pas d’une nature solitaire, pas antisocial non plus. J’ai fait des courses en équipages et ça s’est très bien passé. Disons qu’à une période de ma vie, j’ai plus particulièrement apprécié d’être seul sur le bateau. On est livré à nous-même et pour moi, c’est la meilleure école pour se connaître, apprendre et progresser."
* Catégorie des monocoques de 60 pieds (18 mètres)
Propos recueillis
par Jean-Philippe Béquet et Karl Duquesnoy