:La parole à Francis Hallé

Francis Hallé, botaniste, biologiste et parrain du festival Téciverdi, a donné une conférence dimanche 11 juillet place du Temple, dans les locaux de la CCI.

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Francis Hallé : "Si on veut que les choses changent, il ne faut compter que sur le public"

Entretien avec Francis Hallé. Ce botaniste et biologiste est connu du grand public pour avoir dirigé des expéditions scientifiques du Radeau des cimes sur les canopées des forêts tropicales, cette partie la plus élevée des forêts, en contact avec l’atmosphère et les rayons du soleil où se concentre une très grande part de la vie.

Il donnera une conférence dimanche 11 juillet à 15h place du temple, où il présentera notamment son projet : réaliser avec l'aide du public un grand film sur les forêts tropicales primaires, c'est-à-dire les forêts non exploitées par l’homme. Ce trésor naturel est menacé de disparition à brève échéance en raison de la déforestation.

  • Comment vous est venue cette vocation ?

Francis Hallé : "Je m'en souviens précisément. J’étais étudiant en biologie et comme tout le monde à l'époque, j’avais commencé par étudier les animaux, les fossiles, les microfossiles... Sur mon balcon du quartier latin, il y avait un pot de fleurs vide, avec un fond de terre. Un matin, une plante en est sorti. Je l’ai vue grandir, je l’ai vue fleurir  puis porter des fruits. Un an après il y avait tout un semis. A ce moment là, je me suis dis :  Personne ne s’y est intéressé, ni ne s’en est occupé. Si j’avais eu des animaux, il aurait fallu les nourrir, nettoyer leurs excréments. L’une des caractéristiques remarquables des plantes est qu’elles n’ont pas d’excréments. Ces être vivants poussent avec l’air du temps, se reproduisent sans rien demander à personne. Je me suis dit alors : c’est beaucoup plus intéressant biologiquement que les animaux."


  • Depuis 2003, et jusqu’à encore début 2010, vous avez alerté à plusieurs reprises les citoyens sur la disparition en cours des forêts primaires. Que peut-on en dire aujourd’hui ?

F. H. :"Très tôt, je me suis intéressé à la forêt équatoriale. j'y suis allé là et je me suis rendu compte de la déforestation. J’aime bien la France, mais le rôle de la France dans la déforestation est excessif. C’est révoltant. Que ce soit de droite ou de gauche, tous les gouvernants profitent et ont profité du fric de la déforestation. Il n’y a qu’à voir les réseaux Pasqua, Mitterrand, Françafrique. Si on veut que ça change, il ne faut compter que sur le public."

 

  • Pensez-vous que la lutte contre le bois illégal aide à lutter contre la déforestation ?

F. H. : "Les exploitations légales sont souvent beaucoup plus dangereuses que les exploitations illégales !  Les exploitations illégales sont souvent faites par des locaux qui tirent de la forêt ce dont ils ont besoin. Alors que les exploitations légales sont faites par des multinationales aidées par les gouvernements de leur pays d’origine et du pays où ils travaillent. C’est trop facile ! L’éco-certification ça a été un espoir, en particulier le label FSC (Forest Stewardship Council). Je continue à être pour,  parce que ça protège le personnel, ils ont un casque, des bottes et un dispensaire. Le malentendu est que le public s’imagine que ce label protège la forêt. Mais en 15 ou 20 ans, il n’y a plus de forêt ! Il faut bien comprendre que dans la forêt tropicale, les contraintes viennent des autres êtres vivants. C’est un écheveau et si on touche à un, on commence à tirer le fil de la pelote et l’ensemble est débobiné. Les forêts exploitées en s’en remettent pas."


  • Y a-t-il possibilité d’exploiter intelligemment ?

F.B. :"Les solutions existent. Elles doivent être locales. Les Amérindiens, les Pygmées ont toujours vécu avec les produits forestiers, sans détruire la forêt. Les solutions en provenance d’Europe et des Etats-Unis ne seront pas acceptées. L’agroforesterie représente un espoir. C'est une pratique qui existe en Asie du Sud-est, en Amérique du Sud, en Afrique. Les villageois ont gardé les arbres et les plantes utiles, et ils ont remplacé les arbres inutiles par des arbres
utiles pour le bois, des plantes médicinales, hallucinogènes ou ornementales et cela sur plusieurs générations. Ce sont des agroforêts. L’Inra a une cellule agroforestière, qui s'inspire des pratiques de ces populations."


  • Le grand projet de Francis Hallé ?

F.H. : "Je prépare un grand film sur les forêts primaires des tropiques, qui sera financé par le grand public, via une association. Les gens voient que la situation est très grave et ils ne savent pas quoi faire. J’ai contacté un réalisateur, Luc Jacquet, celui qui a fait La Marche de l’empereur. Les forêt primaires sont calomniées. Le plus souvent dans les films, on voit des forêts secondaires dégradées, où la progression y est difficile, avec des mygales et des serpents. La forêt primaire, ce n’est pas du tout ça ! C'est d’une beauté admirable, surtout la canopée, qui est un véritable trésor. Je veux faire un beau film sur ces forêts, en espérant qu’il n’est pas trop tard, pour que en voyant cette beauté les gens se disent on ne peut pas détruire ça ! Pour que la population fasse pression."

  • Et ici, localement, que pouvons nous faire ?

F.H. :"J'ai envie de dire : aider à financer le film que je prépare ! mais aussi intervenir auprès des commerçants pour une parfaite traçabilité des bois. Si le bois vient d’une plantation, il n’y a aucune objection. Ce qu’on ne peut pas tolérer, c’est l’exploitation en forêt primaire, même légale. Je suis contre le boycott, c'est dangereux, car les pays qui ne vendront plus leur bois vont le couper pour planter des palmiers à huile ou des hévéas. Mais il faudrait n’acheter que des bois de plantations. L’espoir n’est pas perdu concernant les forêts tropicales. Mais il faut se réveiller et aller vite. Les citoyens peuvent aussi demander et obtenir que les programmes des écoles et des lycées agricoles plaident dans le sens de la diversité agricole."

Propos recueillis par
Véronique Duval

+ d'infos sur le site de l'association Forêts tropicales humides :