Après le douloureux dépôt de bilan d’octobre 2008, la marque Camif renaît de ses cendres. Sur d’autres bases, avec d’autres objectifs et avec une politique produit résolument tournée vers le développement durable.
S'il n’a surpris personne, le dépôt de bilan de la Camif, le 27 octobre 2008, n’en a pas moins été douloureux pour le territoire niortais. La vieille dame, née en 1947, laissait de nombreux orphelins. Plus de 1 000 emplois sur le carreau, 25 000 sociétaires lésés et 3,5 millions de clients privés de leur fournisseur préféré de mobilier, literie, textile… Quelques mois plus tard, en mars 2009, un candidat à la reprise partielle de l’entreprise se faisait connaître. Emery Jacquillat, dirigeant de Matelsom, premier site marchand de literie au monde, basé à Nanterre, se portait candidat au rachat du nom Camif et du fichier clients. Une chance pour Niort.
- Qui êtes-vous, Emery Jacquillat ?
Emery Jacquillat : Je suis diplômé d’HEC (Hautes études commerciales), j’ai monté ma première entreprise, Maltelsom, en 1998, j’avais 24 ans. C’était le premier site internet marchand de literie au monde. On m’a un peu pris pour un fou au départ, mais notre principale innovation était de conseiller les gens en fonction de leur profil et de leurs habitudes de couchage et de les orienter vers un modèle qui leur correspondait. La livraison était rapide et on offrait quinze nuits d’essai. A l’époque où est intervenu le dépôt de bilan de la Camif, l’entreprise réalisait un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros par an et comptait une cinquantaine de salariés.
- Reprendre la Camif, quelle drôle d’idée. Mais quel challenge !
E. J. : Pour nous, la Camif était un acteur important du marché de la literie. Une marque ne meurt jamais, elle survit toujours à l’entreprise quand il y a un réel attachement de ses clients. Je me suis dit qu’entre les 230 millions d’euros de chiffre d’affaires que faisait Camif Particuliers avant sa liquidation et zéro du jour au lendemain, il y avait certainement une voie possible pour relancer un niveau d’activité sur un modèle différent. On a décidé de repartir uniquement sur l’équipement de la maison, mais avec des produits de qualité, fabriqués en France, dans le respect du développement durable. Le cœur de notre offre est là et c’est ce qui fait notre différence et notre réussite aujourd’hui.
- Pourquoi l’avoir relancée sur ses terres historiques, alors que votre entreprise était basée à Nanterre, en région parisienne ?
E. J. : C’est un engagement que j’ai pris. L’idée était de recréer des emplois à Niort. J’ai donc passé un deal avec la société Téléperformance : je leur confiais tous les flux de Matelsom qui étaient connus et fiables, plus tous ceux de la nouvelle Camif dont nous ne savions encore rien. La contrepartie c’était qu’ils ouvrent un centre d’appel à Niort. Ils ont dit banco et ont créé 150 emplois localement. Finalement peu de mes collaborateurs m'ont suivi à Niort, malgré la qualité de vie que nous avons ici et les attraits du territoire. On a donc constitué une nouvelle équipe avec d’anciens Camif. Sans eux on n’aurait jamais pu redémarrer.
- Peut-on avancer le nombre d’emplois repris, créés…
E. J. : En tout, 160 emplois créés à Niort avec notre partenaire Téléperformance. Ici, nous sommes une cinquantaine dont 25 % est constitué d’anciens Camif. C’est peu, mais c’est beaucoup à la fois parce qu’on n’est pas sur le même modèle que l’ancienne Camif. Parmi le personnel laissé sur le carreau par le dépôt de bilan, un tiers a retrouvé un job ou a créé le sien, un tiers est parti à la retraite et un tiers est au chômage. Il y a trois ans, nous avons lancé une formation en alternance sur le e-commerce parce qu’il nous était difficile de trouver des jeunes ayant les aptitudes pour ces nouveaux métiers sur Niort. Cette formation crée de la valeur pour nous, mais aussi pour le territoire car elle est ouverte aux autres entreprises.
- Le dépôt de bilan a généré un lourd traumatisme, il n’a pas dû être simple de retrouver la confiance des fournisseurs et des clients.
E. J. : Le passif s’élevait à 100 000 millions d’euros. 10 pour les clients lésés, le reste pour les fournisseurs, les banques… On n’a, bien sûr, pas repris tout ça, mais il a fallu convaincre les fournisseurs de retravailler avec nous. Contre toute attente, ils ont été assez enthousiastes. Quant aux 25 000 clients qui avaient payé une commande qu’ils n’ont jamais reçue, même si leurs colis étaient encore sur le tapis de livraison, prêts à partir, nous ne pouvions pas leur expédier car tout le stock était gagé. On a fait le choix d’envoyer un courrier à chacun pour leur expliquer qui nous sommes, notre démarche et pour leur proposer une carte de remise à vie de 7 %. En retour, 40 % d’entre eux ont accepté notre proposition. Tous nos clients du redémarrage, en 2009, étaient des clients lésés qui nous refaisaient confiance.
- Vos prix sont, en moyenne, 10 % supérieur à ceux du marché. Cela n’a-t-il pas constitué un frein à la reprise ?
E. J. : Il faut comparer ce qui est comparable. Quand on vend un lit fabriqué à Pau, par des personnes handicapées d’un ESAT, avec du pin des Landes issu de forêts gérées durablement, ce lit en bois massif est, certes, deux à trois fois plus cher qu’un lit suédois en particules, dont le bois a poussé en Russie, est fabriqué en Chine pour revenir en Europe bourré de solvants. Il est évident que la durée de vie intrinsèque de ces deux produits ne va pas être la même. Nous, on parle d’un produit durable. De plus, il ne faut pas regarder uniquement le prix affiché du produit. Il faut prendre en compte le temps et l’argent que vous avez dépensé pour aller au magasin et revenir, les kilomètres qu’a parcouru le produit pour arriver jusqu’à vous, le bilan carbone de tout ça, l’impact environnemental… Ce sont des choses qui, désormais, entrent en considération.
- Il n’y a plus de business possible sans internet ?
E. J. : Je ne dirais pas ça comme ça. Disons que celui qui a un commerce, quel qu’il soit, qui n’intègre pas internet dans sa chaîne des valeurs, il a du souci à se faire. Tout le monde a accès à internet où que ce soit. Ça change tout.
- Vous avez malgré tout rouvert le magasin. Le contact physique avec les clients et les produits demeure donc indispensable.
E. J. : Au-delà de voir et toucher, ce qui est important c’est la confiance. Dans notre processus de relance, la confiance est au centre de tout. On a de suite ouvert un blog pour nous présenter, expliquer notre projet, donner la parole à nos clients. On a eu 100 000 visiteurs sur ce blog, c’est considérable. La transparence est la clé de la confiance. La confiance est la clé du commerce. Le magasin, c’était important que les gens de passage nous voient travailler et pour Téléperformance, dont le personnel n’a qu’à traverser la rue pour se former aux produits et en parler objectivement. Et pour nos fournisseurs, il est important de pouvoir montrer la qualité de leurs produits.
- Le catalogue de l’ancienne Camif référençait 200 000 produits. Combien en avez-vous conservé ?
E. J. : On a aujourd’hui un catalogue de 20 000 références si on considère tous les déclinés de couleurs, tailles, etc. dans les domaines du mobilier (40 % du chiffre), de la literie (25 %), du linge de maison (15 %) et un petit peu d'électro-ménager et de produits techniques. On a 280 fournisseurs, dont 228 qui fabriquent en France. On a mis en place un nouvel outil qui fonctionne très bien sur notre site. C’est la « conso-localisation » qui permet aux gens de choisir leur produit en fonction du lieu de fabrication. L’idée c’est de faire prendre conscience aux gens qu’il y a encore de l’industrie en France et que près de chez eux il y a peut-être une entreprise qui peut fabriquer leur lit, leur table, leur canapé… et que ça peut devenir un critère de choix.
- Après le prix « Osons la France », vous venez de recevoir la palme « Initiative et territoire ». Quelle importance accordez-vous à ce genre de distinction ?
E. J. : Moi je suis pour l’économie positive, on parle trop de ce qui ne va pas et pas assez de ce qui va bien. Les prix comme "Osons la France" ou la palme "Initiative et territoire" sont, pour moi, une manière de parler de choses positives, pour l’entreprise, pour le territoire, pour nos fournisseurs. Ces prix récompensent l’audace de la reprise et le travail effectué pour y arriver. Même si on est encore loin du bout du chemin.
Propos recueillis par Jean-Philippe Béquet
(Le 23 octobre 2013)