A 77 ans, Claude Juin demeure un homme révolté. Le président de l’association niortaise pour la reconnaissance et la défense des droits des immigrés publie un livre choc. "Des soldats tortionnaires. Guerre d’Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l’intolérable", analyse les comportements violents d’appelés du contingent pris dans la tourmente de la guerre d’Algérie.
- Vivre à Niort : Etiez-vous un indigné avant l’heure ?
Claude Juin : "C’est un mot qui qualifie bien mon engagement dans une vie à la fois politique et associative. Mon combat a commencé pendant mon service militaire en Algérie, entre mai 1957 et janvier 1958. J’avais 22 ans et j’étais effectivement indigné, révolté".
- Vous avez attendu 50 ans avant d’écrire ce livre. Le moment était venu ?
C. J. : "Sitôt mon retour d’Algérie, je me suis libéré en écrivant Le Gâchis*, sorti en 1960. C’est un livre écrit à partir de trois petits carnets dans lesquels j’ai consigné tout ce que j’ai vu et vécu pendant mon service militaire là-bas. Cet exercice m’était nécessaire. Après, je suis passé à autre chose. Je continuais quand même à parler de la guerre d’Algérie, souvent dans les lycées. Une fois libéré de ma vie professionnelle et politique, j’ai éprouvé le besoin de repenser cette question de la guerre et du comportement des appelés qui restait toujours sous silence.
Mais il fallait que je dépasse le cadre du simple témoignage, que je me mette dans la position du chercheur pour prendre du recul. C’est pourquoi je me suis lancé dans une thèse de doctorat intitulée Guerre d'Algérie : la mémoire enfouie des soldats du contingent. Ca m’a pris deux ans. Lors de ma soutenance en mars 2011, mon directeur de thèse a invité à mon insu la directrice littéraire des éditions Robert Laffont. C’est comme ça que ma thèse est devenue un livre, sorti en mars dernier."
- Quelles réactions a suscité ce livre, sorti à l’occasion du 50e anniversaire des accords d’Evian ?
C. J. : "J’ai eu des réactions directes très dures, qui sont même allées très loin. Mais je retrouvais ma jeunesse et les réactions encore plus violentes qu’avait suscité mon premier livre, qui d’ailleurs a été interdit. J’essaie de ne pas me glisser dans ce climat de haine, je laisse dire, mais je note combien il était nécessaire d’écrire ce livre. Je m’étais préparé à ça et ça renforce ma conviction qu’il faut continuer à témoigner."
- Qu’est-ce qui nourrit votre indignation aujourd’hui ?
C. J. : "La vie est ainsi faite qu’il faut être en permanence un combattant de la vigilance sociale et politique, toujours dénoncer les défauts de démocratie, surtout quand ils conduisent à ne pas reconnaitre l’autre en tant qu’individu à part entière.
Toute ma vie, j’ai eu cette volonté là. Je me suis engagé dans deux grandes directions. D’abord la défense du peuple palestinien, qui est en lien direct avec mon combat pour la paix et l’indépendance de l’Algérie car en Palestine aussi il y a un peuple qui colonise l’autre.
Ensuite, la défense des sans-papiers, de ceux qu’on ne veut pas reconnaître comme étant des nôtres. En Algérie, le musulman était considéré par notre génération comme une race inférieure. Mon engagement en faveur des sans-papiers est nourri de ça".
- C’est le sens de votre combat actuel avec l’ARDDI**
C. J. : "Oui, l’ARDDI aide les sans-papiers et les reçoit chaque lundi à sa permanence. Il y a toujours du monde, des familles, des enfants qui attendent la régularisation de leur situation, qui vivent dans l’angoisse d’être réveillés un matin par la police pour être renvoyés dans leur pays. On lutte avec eux pour qu’ils défendent leurs droits et leur dignité, on les accompagne pour les aider à être respectés, à ne pas être malmenés quand il y a des descentes de police ou quand ils sont convoqués au commissariat. Nous sommes dans une époque où il faut être particulièrement vigilant. En permanence !"
(21 mai 2012)
• Des soldats tortionnaires. Guerre d’Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l’intolérable, par Claude Juin, Ed. Robert Laffont. 372 p.
• (*) Le Gâchis, écrit sous le pseudo Jacques Tissier. Paru en 1960 chez Éditeurs français réunis.
• (**) ARDDI : Association pour la Reconnaissance et la Défense des Droits des Immigrés. Permanence chaque lundi de 18 h à 20 h, à Maison de la vie associative, 12 Rue Joseph Cugnot.