Chorégraphe et fondateur de la compagnie E.go, le Niortais Éric Mézino a été promu chevalier des arts et lettres. Une distinction remise par son ami Kader Attou*. Car, au départ, tout ceci est une histoire de copains talentueux et pugnaces.
L’époque : la fin des années 80. Le lieu : Saint-Priest, dans la banlieue lyonnaise. David, Kader, Mourad, Chaouki et Eric ont 13 et 14 ans. Leur truc, c’est la danse. Précisément, le hip hop. « Mais tu imagines, faire de la danse, dans le quartier, à l’époque. Fut-il du hip hop. Aujourd’hui, c’est l’inverse, dans les quartiers, si tu ne danses pas, c’est pas normal ».
Dans le creuset de la danse contemporaine qu’est déjà Lyon, à l’époque, les cinq copains créent Accrorap en 1991, l’une des toutes premières compagnies de danse hip hop, en France. Dans cette époque « post Jack Lang » l’argent coule à flot pour les projets culturels à valeur sociale ajoutée. Ils sont au bon endroit, au bon moment. Ils dérochent un lieu pour travailler et un budget. « 20 000 francs, pour nous c’était l’Euro million. On se demandait ce qu’il se passait. D’un autre côté, on était des gamins ambitieux, dans le bon sens du terme. Mais on ne pensait pas du tout devenir professionnels ».
De Lyon aux camps de réfugiés de Zagreb
En 1993, un événement vient changer la donne pour Éric Mézino. « Une ONG nous propose de venir à Zagreb, en pleine guerre de l’ex-Yougoslavie, pour faire un travail avec de jeunes réfugiés bosniaques. » Parmi eux, une jeune fille reste à l’écart, on la dit folle. Éric Mézino la prend sous son aile. Il apprend son histoire : le viol, l’assassinat de ses parents sous ses yeux. « Au bout de 15 jours, par la danse, par l’attention que je lui ai portée, cette gamine s’est remise à vivre. Je me suis dit à ce moment-là : si la danse peut sauver des vies, alors je veux enseigner toute ma vie. » Il a 20 ans et c’est le déclic. Le facteur humain sera au cœur de son projet artistique. C’est aussi l’année où il fait le pas du professionnalisme.
Dans la cour des grands
En 1994, Guy Darmet, créateur de la Biennale de Lyon, les met au défi : « Si vous êtes capables de créer un vrai spectacle, je vous fais monter sur une vraie scène ». Il leur ouvre les portes de la Maison de la danse et de la Biennale où ils présentent Athina, un spectacle qui mixe hip hop et danse classique. Un triomphe ! « Il y a des gens qui rêvent toute leur vie d’aller dans ce festival mondialement connu. Nous, on a à peine trois ans d’existence et on y est ».
Exister aux yeux de la société
1996. Le groupe éclate. Éric et Kader restent au sein d’Accrorap et montent le spectacle Kelkemo en hommage aux enfants rencontrés à Zagreb. Eric commence alors un travail personnel sur ses origines. « J’avais un papa sicilien blanc issu d’un milieu aisé, une maman malgache noire issue du monde paysan, qui se sont unis dans un pays colonisé. En 1976, à l’indépendance de Madagascar on a été mis dehors et on a débarqué en France. Ce qui m’a posé le problème existentiel de ma place dans la société et de mon souci d’exister aux yeux des gens. Être respecté pour ce que je suis et pas pour ce que je vaux. »
L’implantation à Niort
En 2001, il claque la porte d’Accrorap. Un projet franco-brésilien mené sur les quatre scènes nationales du Poitou-Charentes lui permet de rencontrer Michel Selitzki, premier directeur des Rencontres hip-hop de Niort. « C’est à ce moment-là que je décide de quitter Lyon pour m’installer à Niort. En quittant Accrorap, beaucoup de gens m’ont lâché et ça a été une belle claque. Heureusement, des acteurs de la culture niortaise, Bernard Bonnet, Christian Vernadal, m’ont accueilli et soutenu.» La 3e édition des Rencontres hip-hop lui fait un triomphe avec son spectacle Quilombo.
Un projet artistique ancré dans le territoire
« Ce qui m’intéressait, c’est que le Poitou-Charentes était un terrain vierge en termes de hip-hop. Malheureusement, il l’est toujours… Et je suis sûr que 90 % des Niortais ne savent pas qui je suis et ce que je fais. » On lui reproche de travailler plus volontiers à l’étranger que localement. Pourtant, sa nouvelle compagnie, E.go, créée en 2003, a inscrit à son projet artistique la transmission et l’accompagnement des pratiques amateurs via des ateliers, des stages, des interventions en milieu scolaire. Il présente régulièrement ses créations sur les scènes régionales et mène des projets locaux, comme Milk Hip Hop, une action culturelle en Pays Airvaudais et Val de Thouet à l’initiative d’un collectif d’agriculteurs. « Aujourd’hui, E.go se démarque des autres compagnies en proposant des « packs de travail » qui comprennent un projet d’échange pédagogique tous publics, un projet de territoire, de la résidence et de la diffusion artistique. »
25 ans de hip-hop... et ce n'est pas fini
Mais, au fait, pourquoi ce nom E.go ? « Le E, c’est pour être, par opposition à paraître. Le point, c’est la cyber culture dans laquelle nous vivons. Go, c’est le voyage, la mondialisation de mes activités. »
Quant à sa promotion au grade de chevalier des arts et lettres, elle a du sens pour le gamin de Saint-Priest aujourd’hui âgé de 42 ans. « On ne l’a pas pour rien. Ce n’est pas moi qui l’ai demandé, quelqu’un a estimé que je la méritais. C’est 25 ans de carrière et ce n’est pas fini. J’en reviens à ma volonté d’exister dans la société. Voilà, je suis un artiste de la République, j’ai gagné mon pari. »
Éric Mézino travaille actuellement à la création d’un nouveau spectacle dans lequel évolueront des danseurs de Mayotte. Sortie prévue en 2016. Les créations Magic Box, Danser le silence… et Catch me, seront jouées dans divers évènements, en France et en Europe.
* Kader Attou est directeur du Centre chorégraphique national (CCN) de La Rochelle et a été fait Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur.
Mourad Merzouki est directeur du CCN de Créteil et également Chevalier de la Légion d’honneur.
Chaouki Saïd dirige la compagnie Mayada.