:Emmanuelle Brisson, à domicile

La Villa Pérochon expose Emmanuelle Brisson du 24 octobre au 21 décembre. Avec Double JE, la photographe niortaise dévoile le travail très personnel qui bâtit sa jeune notoriété.

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La Villa Pérochon expose Emmanuelle Brisson du 24 octobre au 21 décembre. Avec Double JE, la photographe niortaise dévoile le travail très personnel qui bâtit sa jeune notoriété.  

Ça ne fait que cinq ans qu’Emmanuelle Brisson s’est mise à la photographie et déjà de prestigieuses galeries ont exposé ses œuvres. Il est donc très juste que le Centre d’art photographique contemporain offre ses cimaises à cette artiste niortaise à la notoriété météorique. Son exposition Double JE compile 36 clichés rétrospectifs de ces cinq dernières années, augmentée de clichés de son enfance. Rencontre avec l’artiste.

  • Quelques éléments de votre état civil ?

Emmanuelle Brisson : Disons que je suis née, je vie et je travaille à Niort et que la photo n’est pas mon métier.

  • Vous avez déclaré « je suis venue à la photographie il y a cinq ans par accident, mais en aucun cas par hasard ». Quelque chose sourdait donc en vous.

E. M. : Je suis une enfant des années 80 donc l’image, l’iconographie ont toujours été des éléments importants pour moi. J’ai fait mes premières photos quand j’avais 8 ans - quelques-unes seront d’ailleurs dans mon exposition - et j’ai fait partie du club photo de mon collège. Donc la photographie a toujours été omniprésente, elle n’est pas un hasard dans ma vie. Mais je n’en ai jamais trop fait. Avant l’arrivée du numérique, la photo coûtait très cher et demandait beaucoup de temps. J’ai véritablement découvert la photo quand j’ai eu un reflex numérique entre les mains. C’était il y a cinq ans, et ça a été une véritable révélation.

  • Et là, vous vous êtes mise « à mitrailler, prendre tout et n’importe quoi ». Il y avait de la boulimie là-dedans. L’envie de rattraper le temps perdu ?

E. M. : Complètement ! C’est comme quand on monte sur un vélo la première fois. On découvre qu’on sait en faire et, du coup, on roule, on roule et on voudrait que ça ne s’arrête jamais. J’ai eu une euphorie photographique jusqu’au moment où les paysages et les animaux qu’on photographie toujours au début ont commencé à me saouler. Je me suis vite tournée sur l’humain, et, en l’occurrence, sur la seule personne que j’avais sous la main : moi. J’ai vite fait des autoportraits uniquement parce que j’étais le seul modèle dont je pouvais disposer. Là, je me suis dit qu’il se passait quelque chose, que j’étais en train d’exprimer des choses très personnelles, très intimes. Je ne parlerais pas de thérapie, mais on n’en est pas loin. A force de faire des mises en scènes on finit par mettre en image ce qu’on a dans la tête, au plus profond de soi et de ses tripes. Quand on prend un peu de recul tout cela est très questionnant.

  • Parlant de thérapie, la série d’autoportraits dans laquelle figure le fameux poulpe, a-t-elle eu l’effet escompté ?

E. M. : Cette série était intitulée « Can’t get it out of my head » (ndlr. Je ne peux pas me le sortir de la tête). Mes idées noires, mes angoisses, mes peurs elles sont à l’intérieur de ma tête, mais elles sont aussi sur mon visage. Avec cette série j’ai pris vraiment du plaisir dans la préparation des plans. C’était presque masochiste, je me mettais dans des situations extrêmement inconfortables, mais j’allais au bout. Le pire ça n’a pas été le poulpe, mais la mousse. L’odeur de la forêt, de la mousse génère en moi de très fortes angoisses. Mais après la prise de la photo, après m’être mis dans cette situation difficile, je me sentais bien. Donc on peut effectivement parler de thérapie. Au niveau artistique, j’adore travailler les images très simples, esthétiques, belles dans leur esthétique, avec peu de couleurs, propres. Mais en même temps, il y a un gros malaise derrière. Il parait que ça provoque des choses chez les gens : du dégoût, de l’amusement… C’est intéressant parce que ça génère du dialogue avec ces gens.

  • Qu’allez-vous exposer à la Villa Pérochon ?

E. M. : 36 photos petits et grands formats de travail sur moi-même. Tout ce qui fait partie de ma vie. Je suis de ceux qui pensent qu’on a plusieurs vies dans une vie. C’est un peu de ces cinq dernières années, la découverte de ma fibre artistique. Ce n’est pas rien, on fait des photos et puis on découvre que ça plait. Du jour au lendemain on se retrouve dans une galerie à Paris, à Toulouse, à Montpellier, avec une petite notoriété, c’est très fort à vivre. Mais j’ai arrêté l’autoportrait, signe que ça va mieux. Je n’ai plus rien à raconter sur moi-même en tout cas. Cette exposition est donc un aboutissement, comme le dernier chapitre d’un livre qu’on va fermer.

  • C’est votre première grosse expo à Niort. Vous dites « déjà » ou « enfin » ?     

E. M. : Sans fausse modestie, je n’en reviens toujours pas. Pendant longtemps je me suis sentie comme n’étant pas à ma place. Je n’ai pas fait d’école de photographie, je ne connais pas grand-chose à la technique et je suis incapable d’en parler, je me trouve très faible en culture photographique. Donc c’est une grande chance pour moi d’exposer à Niort, à la Villa Pérochon. Comme m’a dit Patrick Delat (ndlr. Directeur du Centre d’art photographique contemporain) « c’est pour toi un grand coup de pied au cul ».  

  • Vous exposez, votre travail est apprécié, ça veut dire qu’il y a du talent derrière tout ça. Et qu’il est reconnu. Donc il n’y a pas de fausse modestie à avoir…

E. M. : Je ne sais pas comment dire parce que durant ces cinq ans j’ai vécu des choses tellement personnelles et intimes. Mais j’ai aussi l’impression d’avoir fait tout et n’importe quoi. Ce qui m’intéresse dans la photographie, c’est d’en faire. Ça ne m’intéresse pas de faire du business avec mes photos. Ce que j’aime c’est ce qui se passe avec les autres, avec les gens qui posent pour moi, qui me soutiennent, qui me font confiance. Ça, ça me remplit.

  • Aucune de chance de vous voir faire le pas du professionnalisme, donc.

E. M. : Ça, sûrement pas ! Jamais ! La photographie est pour moi un véritable espace de liberté. Je ne veux pas vendre mon âme d’artiste, entre guillemets. Je veux garder cette liberté que je considère comme une vraie chance. Je n’ai pas d’ambitions dans ce domaine, sinon continuer à en faire. Quand Patrick Delat parle de coup de pied au cul, il me dit que je suis arrivé à un stade où je dois aller plus loin, franchir un pas, monter une marche et me positionner dans un autre registre. Je ne suis plus l’amateur qui bricole dans son coin. Mais pas au point de passer professionnelle.

  • Pourquoi "Double JE".

E. M. : Parce que j’ai fait un gros travail sur le jeu. J’adore ça. J’ai grandi dans une famille très modeste, prolétaire où l’art et la culture n’avaient pas leur place parce que ce n’est pas ça qui donnait à manger. J’ai perdu mon père très jeune, je vivais avec ma mère donc j’ai très vite été confrontée à la dure réalité de la vie. Pour ma mère, il fallait que je travaille bien à l’école pour réussir dans la vie. Tout ce qui était art, création, culture qui m’attiraient m’étaient littéralement interdits parce qu’on n’avait pas les moyens. Du coup, mon évasion je le trouvais dans le jeu. J’inventais des jeux, je bricolais des trucs, mon espace de liberté je ne l’avais qu’à travers les jeux. Pas par la peinture ou la photographie. Même encore aujourd’hui ma mère me dit qu’au lieu de prendre mes « conneries » je ferais mieux de photographier les arbres en automne qui sont magnifiques. C’est touchant et ça montre que la photo est un domaine encore complètement méconnu. Du coup, je crois que j’ai gardé ça, la création artistique je ne peux la concevoir qu’à travers le jeu. Je joue avec moi, parfois à des jeux dangereux, en me mettant dans des situations inconfortables. J’adore aussi quand j’emmène les gens dans mes délires photographiques, quand ils rentrent dans le jeu.

  • La Villa Pérochon, c’est une chance pour Niort, pour les Niortais ?

E. M. : Il faut savoir que l’association "Pour l’instant" est très connue au niveau national et international. Et c’est dommage qu’à Niort on ne se rende pas bien compte de cette notoriété. Il y a deux ans, je suis allée aux Rencontres de la photographie d’Arles. Lors de la semaine professionnelle, l’association était là en tant que lecteur, pour les lectures de portfolio. Des photographes viennent présenter leur travail à des professionnels et ils choisissent avec qui ils veulent passer. En à peine une demi-heure, "Pour l’instant" avait rempli tout son carnet de rendez-vous. Là, je me suis rendu compte de la notoriété de l’association. Du coup, ça ne m’étonne pas qu’ils soient aujourd’hui en charge du Centre d’art photographique. Les Rencontres qu’ils organisent sont prestigieuses et internationalement reconnues. Pour Niort, c’est génial ! Même s’il faudrait maintenant que les Rencontres et que le travail qui se fait à la Villa Pérochon descende dans la rue et essaime dans la ville. Niort a le potentiel pour être un Arles bis.

  • A la Villa Pérochon du 24 octobre au 21 décembre 2013. Entrée gratuite. Vernissage de l'exposition le 25 octobre à 18h.
    + d'infos sur www.cacp-villaperochon.com 

Propos recueillis
par Jean-Philippe Bequet
(Le 21 octobre 2013)

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